Blog proposé par Jean-Louis Bec

jeudi 24 novembre 2011

J'y pense, donc j'en suis?



Rubriques: psychologie du photographe; langage et photographie; lecture de photographies; sciences de la photographie


A propos du sujet photographique: " Dans un premier temps j'analyserai ce qui se noue dans le terme "sujet" et ensuite dans le terme qui résulte de l'alliance entre "sujet" et "photographique". Cette réflexion analytique permettra de dégager trois composantes: iconographique, médiumnologique et ontologique. Le sujet photographique sera alors examiné comme une construction composée de ces trois strates. Si le sujet est composé de ces trois niveaux, tel est mon postulat, l'on devrait les repérer lorsqu'on analyse l'oeuvre photographique d'un auteur. Ces trois composantes pourraient donc être considérées comme les critères de jugement. Procédant alors à l'analyse critique d'une oeuvre photographique, on devrait pouvoir les identifier".

La composante iconographique: "concerne initialement la partie du photographiable qui se trouve devant l'objectif du photographe au moment de la prise de vue, puis l'ensemble des photographies qui forment le corpus du sujet, du livre ou de l'exposition photographiques. Elle fait partie intégrante du sujet photographique et constitue le premier niveau du sujet, le niveau "informatif", la reconnaissance et l'identification de ce qui apparaît dans l'image.(...) Elle concerne l'information première qu'apportent les décors, les habits, les personnages, leurs rapports, leur insertion dans l'histoire que raconte une image photographique ou un ensemble de photographies.(....) La question qui mérite d'être posée est de savoir si une seule photographie suffit pour informer le sujet ou bien s'il en faut plusieurs-et combien?- pour pouvoir identifier ce que l'auteur a voulu faire, l'intention artistique.
(...) L'aspect iconographique du projet est ce qui est perçu en premier".

La composante médiumnologique: "Le terme "médiumnologique" est employé ici pour tout ce qui peut être considéré comme un logos sur le médium ou moyen d'expression qu'emploie un artiste. Le médium est ce qui se pose en intermédiaire entre l'homme photographe et son idée; c'est le moyen qui permet la réalisation de l'idée; il est ce qui établit la communication entre un Dedans et un Dehors (ce qu'on appelle "vie-sible"), ce qui permet que le Dedans (sujet nouménal) s'extériorise en forme, en sujet phénoménal. Selon Paul Valéry "le vrai peintre, toute sa vie cherche la peinture; le vrai poète, la poésie, etc. On peut ajouter que le "vrai photographe, toute sa vie cherche la photographie". C'est donc dans ce sens qu'il faut entendre le terme "médiumnologique".
La "médiumnologie photographique" traduit toute recherche, à la fois théorique et pratique, qui se donne pour objectif le développement d'un savoir cognitif concernant la nature de la Photographie; elle cherche à pénétrer la spécificité et les caractéristiques inhérentes au médium. (...) Le photographe-chercheur qui produit des images nouvelles l'est aussi à sa manière. Ses images constituent un métalangage tâchant de répondre aux multiples questions, techniques, esthétiques ou existentielles, que pose son médium. En tant que praticien il s'inscrit, sans en être souvent conscient, dans la quête de vérité de son médium. "qu'est-ce que photographier? comment photographier? Pourquoi photographier? seraient des questions médiumnologiques. (...) On a beau essayer de l'expliquer, le mystère de la création poétique demeure".

La composante ontologique: " c'est celle qui se rapporte à l'être de l'auteur. Elle concerne la quête identitaire du sujet photographiant, l'effort permanent du gnôthi seauton socratique pour s'incarner dans la Forme-oeuvre. Dans le présent travail je questionnerai davantage le "je" qui participe dans le "je photographie". Quel est ce "je" qui se met en scène par l'acte photographique? Est-ce la totalité du Moi de l'homme photographe ou bien seulement une partie? Que se passe-t-il entre l'action de "photographier" et le sujet de l'action? De quelle manière la scène photographiée représente-t-elle le "je" du photographe? "L'homme, écrit Pierre Watt, se cherche dans les êtres et les êtres en lui manifestant leur propre identité lui révèlent la sienne". Ainsi le "je" du photographe devient-il le lieu des désirs multiples: désir de connaître le monde et autrui, désir de s'exprimer, désir de donner figure à une "spiritualité visuelle", désir de mieux se connaître soi-même, désir de s'élever à un niveau supérieur, désir de devenir un homme nouveau.
Ce questionnement est également tributaire de l'enseignement cartésien. Si la pensée constitue le fondement de l'être comme l'exprime le cogito ergo sum, il serait juste de se demander en quoi l'acte de "photographier" représente l'être du photographe, son essence. Peut-on dire quand on est photographe "je photographie, donc je suis"? Ou bien: "De quelle manière suis-je quand je photographie? Quelle poïétique inventer afin d'y manifester ce que je suis en tant qu'homme?"
On a objecté à Descartes que le "je" du "je pense"n'est pas le même du 'je" du "je suis". Cela veut dire qu'une partie seulement du "je" participe à l'activité de la pensée. Une autre partie du "je" se consume dans les activités du corps, tandis qu'une grande partie s'évanouit sans laisser de traces.Cela signifie concrètement que la pensée seule ne saurait traduire la totalité du "je"; par ailleurs aucune autre activité ne saurait épuiser ce que recouvre le Moi.
En ce qui concerne l'acte photographique, si l'on tient compte de tout ce qu'on a dit, il est légitime de conclure qu'une partie infime de Moi participe à l'action photographique; que le "je" contenu dans le "je photographie" ne correspond pas à la totalité de l'homme photographe. En réalité, le "je", ou pour être plus juste, le Moi de l'auteur est beaucoup plus vaste que je "je" qui participe dans le "je photographie". Pour être encore plus précis, je dirais que le Moi de l 'auteur se compose des multiples "j" incarnés à chaque fois dans les actions "j'écris", "je filme", "je peins", "je mélange des médiums", etc...
(...)
Le questionnement ontologique permettrait d'identifier un auteur; c'est ce questionnement qui validerait le fait qu'il y a un auteur derrière un ensemble d'images".

Panayotis Papadimitropoulos, Le sujet photographique, L'Harmattan, 2010.

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